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Le Dr François deWet transforme « le pire cauchemar du médecin » en incitatif à l’amélioration

20 octobre, 2015

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La dame qui s’est présentée à la salle d’urgence ce soir-là ressemblait à tant d’autres pour le Dr François deWet, jusqu’à ce que sa vie bascule, dans un moment qu’il n’oubliera jamais.

Des membres de la famille de la femme l’avaient amenée dans le petit hôpital rural de Terre-Neuve où travaillait le Dr deWet en lui indiquant qu’elle souffrait de douleurs thoraciques depuis le début de la journée. La patiente n’avait pas été suivie par un médecin depuis son admission à l’hôpital, quelque 14 années plus tôt, à la suite d’une tentative de suicide. Elle était malade depuis plusieurs semaines. Sa famille soupçonnait qu’elle avait le diabète, mais jusqu’à ce jour, elle avait toujours refusé de voir un médecin.

Un électrocardiogramme a confirmé qu’elle avait subi une crise cardiaque. Après avoir été traitée selon les protocoles, elle a d’abord semblé se stabiliser, mais son état s’est ensuite rapidement dégradé. Elle avait le souffle court et son niveau d’oxygène était à la baisse.

« J’ai alors pris la décision de l’intuber, parce que nous avions peur de perdre les voies respiratoires, se souvient le Dr deWet. Les deux infirmières qui travaillaient cette nuit-là comptaient parmi nos infirmières les plus expérimentées. J’avais une totale confiance en elles et elles avaient une totale confiance en moi. »

Le Dr deWet s’est tourné vers l’une des infirmières et a demandé de la « scoline », un terme de jargon médical pour désigner la succinylcholine, un médicament courant qui détend les muscles pour permettre aux médecins d’insérer un tuyau de respiration dans la trachée du patient.

« L’infirmière m’a regardé et m’a dit, “de la scopolamine”? Ce nom désigne un autre médicament que nous utilisons en soins palliatifs pour atténuer les sécrétions. Moi, bien sûr, j’ai entendu “scoline” et j’ai répondu “oui, de la scoline”. Elle est donc partie chercher le médicament et le temps qu’elle revienne, j’avais décidé d’intuber la patiente, raconte le Dr deWet.

Nous lui avons administré le médicament, mais il ne semblait pas faire son effet. Je suis resté confus pendant quelques secondes, car cela ne se passait pas comme prévu. La patiente était censée se détendre immédiatement pour me permettre de l’intuber. Je passais en revue les raisons possibles pour lesquelles ce médicament ne fonctionnait pas. Mais on aurait dit que je ne pouvais plus réfléchir dans cette situation critique. Je regardais l’écran et je voyais que la saturation diminuait, alors j’ai dit, “donnez-lui une autre dose”. L’infirmière a immédiatement donné une deuxième dose et une fois de plus, rien ne s’est produit. »

Perplexe, le Dr deWet s’est demandé si quelque chose clochait avec le médicament ou si la patiente y était insensible d’une manière ou d’une autre. Il n’avait jamais rien vu de tel dans toute sa carrière. Il a demandé du rocuronium, un autre médicament du même type. La patiente a reçu ce médicament, elle s’est immédiatement détendue, et le Dr deWet et son équipe de soins infirmiers ont pu l’intuber.

Une longue tentative de réanimation a suivi, mais la femme n’a finalement pas pu être sauvée. Le Dr deWet a annoncé la nouvelle à la famille en essayant de la réconforter. Ses proches ont demandé de passer du temps seuls avec elle.

« Je suis sorti, je me suis assis au poste de soins infirmiers et nous avons commencé à discuter de ce qui était arrivé... Puis l’infirmière m’a dit : “vous savez, c’est la première fois que je voyais de la scopolamine administrée à un patient lors d’un code. Et dès qu’elle m’a dit ça, j’ai compris.

J’avais ce sentiment dans l’estomac. Celui qu’on ressent quand votre femme vous dit “chéri, il faut qu’on se parle”, ou quand votre secrétaire vous annonce que Revenu Canada est au bout du fil et veut vous parler. Je me sentais comme si on venait de me frapper dans l’estomac. Et tout de suite, j’ai su que ce qui était arrivé. Nous avions donné le mauvais médicament au cours du processus d’intubation. Et mon esprit a commencé à s’agiter, parce que je me suis tout de suite demandé si j’avais contribué à sa mort, si cela aurait pu être évité, et si c’était la raison pour laquelle nous n’avions pas pu la réanimer. À cette époque, je ne comprenais pas comment ce médicament pouvait avoir contribué ou non à la situation. »

À cet instant, le Dr deWet faisait face au pire cauchemar que peut vivre un médecin : une erreur médicale évitable. Il ne savait pas si l’erreur de médicament avait contribué de quelque manière à la mort de sa patiente, mais il savait qu’une erreur avait été commise. Il savait aussi que la première chose à faire était de le dire à la famille. Il a pris la sœur de la patiente à part et lui a raconté ce qui était arrivé, en précisant qu’il ne savait pas si la confusion avait contribué au décès, mais en promettant de trouver rapidement la réponse et de lui faire savoir. La femme a pris la nouvelle avec une retenue remarquable, note le Dr deWet.

L’incident a suscité une vive émotion au sein du personnel médical impliqué, se souvient-il. L’infirmière qui avait administré le médicament était bouleversée parce qu’elle se sentait en faute. Le Dr deWet se reprochait d’avoir désigné le médicament avec un terme de jargon qu’elle ne connaissait peut-être pas. Tout le monde avait l’impression d’avoir échoué à offrir les meilleurs soins possibles à la patiente.

Ce soir-là, le Dr deWet a contacté un spécialiste en médecine interne qui lui a donné l’assurance qu’il était peu probable que l’erreur de médicament ait contribué à la mort de la femme. Malgré cela, le personnel infirmier et lui sont rentrés à la maison le lendemain dans un terrible état d’esprit. Une partie de leur appréhension était liée aux réalités de la vie dans une petite ville où tout le monde se connaît, donc à la façon dont l’incident serait perçu dans de la communauté.

Lorsque le Dr deWet a de nouveau rencontré les membres de la famille le lendemain, ils se sont montrés « étonnamment » compréhensifs. La sœur avait parlé à l’un des membres du personnel infirmier pour lui dire que la famille avait compris la situation et savait que c’était une erreur.

« Je pense que la famille savait que tout ce qui était arrivé n’avait pas été causé par des gestes intentionnels ou malveillants. Et je trouve qu’elle nous a beaucoup soutenus. » Cette compassion ainsi que le soutien de son épouse, elle-même infirmière, et de ses collègues, a beaucoup réconforté le Dr deWet dans ses douloureux moments de doute et ses nuits d’insomnie. Mais seulement jusqu’à un certain point, a-t-il confié.

« C’est comme ça. Même si les autres vous disent que vous avez bien agi ou que vous ne devriez pas vous en faire, c’est plus fort que vous. Il y a une voix intérieure qui vous rappelle tout le temps que cela n’était pas bien, que cela n’aurait pas dû se produire, que vous avez mal agi et que vous avez échoué, et vous entendez cette voix 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. »

Avec le recul, le Dr deWet pense au traumatisme émotionnel qu’il a vécu en tant que médecin avec 20 ans de pratique, et se dit que le poids de la pression doit être beaucoup plus lourd pour les prestataires de soins de santé qui sont encore relativement nouveaux dans le système. Il n’est pas surpris d’apprendre que des études démontrent que de tels épisodes indésirables peuvent entraîner de nombreux jeunes spécialistes de la santé à mettre fin à la carrière.

« Il y a deux façons d’aborder un incident de ce genre. Il y a l’approche à l’ancienne, qui consiste à contourner les obstacles et à pratiquer le culte du silence avec le mot d’ordre “je ne dirai rien si vous ne dites rien”. C’est évidemment la mauvaise façon de faire les choses, l’ancienne façon de faire les choses. La bonne approche dans ces situations, ce serait d’étudier et d’évaluer le cas. L’examiner et le traiter sous tous ses angles, pour trouver la cause de ce qui est arrivé et y remédier. Parce que si c’est arrivé une fois, cela se reproduira, et si nous ne corrigeons pas les problèmes à mesure qu’ils se présentent, quelqu’un d’autre subira un jour le même préjudice, dans les mêmes circonstances. »

Lors de cette nuit fatidique, le Dr deWet et ses infirmières se sont immédiatement engagés à parler ouvertement de l’incident et à réaliser un examen de qualité complet des événements. À la suite de cet incident précis, l’hôpital a modifié ses procédures d’administration de médicaments dans des situations de réanimation, y compris le stockage des médicaments et la dénomination spécifique des médicaments demandés par le personnel médical.

« Cela fait presque trois ans que c’est arrivé et je croise toujours les membres de la famille en ville. Je les vois encore à l’hôpital et certains d’entre eux sont mes patients. Chaque fois que je les rencontre, je ressens toujours une sorte de peur et de honte au fond de moi. Mais je peux les regarder dans les yeux et garder la tête haute en me disant que quoi qu’il soit arrivé cette nuit-là, il en est sorti quelque chose de bien. Et je pense qu’ils le savent. »

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